TRAFIC DE DROGUE : QU’EST-CE QUE LA « MOCRO MAFFIA », DONT L’UN DES BARONS A éTé LIBéRé ?

La presse internationale lui a donné le surnom de « Mocro Maffia ». Mais pour Michel Gandhillon, spécialiste du sujet, c’est « une étiquette qu’on a collée sur une nébuleuse de plusieurs groupes, organisée autour de clans familiaux ». Des alliances - et des conflits - qui ont permis à la « Mocro Maffia », cette organisation criminelle d’origine marocaine établie aux Pays-Bas, d’être aujourd’hui à la tête d’un tiers des importations de cocaïne en Europe.

L’un des cerveaux présumé de la « Mocro Maffia » a pourtant été récemment relâché, après un imbroglio judiciaire en Espagne. Accusé d’avoir dirigé un réseau de trafic de drogue ayant acquis au moins 172 propriétés dans le sud de l’Espagne, Karim Bouyakhrichan avait été interpellé et placé en détention provisoire, le 10 janvier dernier à Marbella.

Pourtant, le 22 février dernier, un juge du tribunal de Malaga a décidé de le remettre en liberté provisoire sous contrôle judiciaire, contre l’avis du parquet. L’homme s’est évidemment depuis volatilisé dans la nature. Une décision qui a provoqué l’incompréhension des autorités néerlandaises.

Des membres issus de la diaspora du Rif

Si la « Mocro Maffia » fait régulièrement la Une de l’actualité, son existence est loin d’être nouvelle. Pour comprendre son histoire, il faut remonter le temps. Dans le contexte de l’après-guerre et des Trente Glorieuses, les Pays-Bas et la Belgique, comme une partie des autres pays européens, ont eu recours à partir des années 1960 à une immigration de travail, notamment issue du Rif, la région marocaine longée par la Méditerranée.

« Celle-ci s’est progressivement enracinée du fait du regroupement familial dans la société d’accueil et notamment dans les métropoles comme Amsterdam, Rotterdam ou Utrecht », explique au Parisien Michel Gandhillon, expert associé au département sécurité-défense du Conservatoire national des Arts et métiers (CNAM).

Ce sont des enfants de cette génération de travailleurs, qui pour certains, se sont laissé « happer dans des carrières criminelles », et « ont profité de la légalisation des coffee shops en 1976 », pour se lancer dans le trafic de résine de cannabis, ajoute le spécialiste, qui a consacré un article à l’organisation criminelle dans la revue Conflits. « Grâce à leurs connexions avec le Rif marocain, l’une des plus grandes zones de production de cannabis, ils étaient en première ligne pour alimenter ces coffee shops », selon lui.

Des vendettas depuis les années 2010

Peu à peu, ces différents groupes, structurés autour de clans familiaux, sont montés en puissance en s’engageant dans le trafic de cocaïne. Si les relations entre les gangs se passent relativement bien pendant plusieurs années, elles prennent un tournant radical au début des années 2010.

Un événement en particulier va faire basculer la situation. En 2012, deux membres des « Turtles » (Les Tortues en français), l’un des clans, volent une cargaison de 200 kilos de cocaïne dans le port d’Anvers à une autre bande. « Les deux frères ont été kidnappés et torturés dans des conditions atroces. L’un d’eux est mutilé, l’autre a eu des doigts sectionnés », raconte Michel Gandhillon.

Mais surtout, cette trahison a déclenché un cycle de vengeance : « Depuis une dizaine d’années, on est passé dans une logique de vendetta et d’honneur, qui a fait des centaines de morts », analyse le spécialiste.

Une « dizaine de clans » regroupés autour de familles

Depuis quelques années, la violence n’est plus circonscrite aux cercles criminels. Elle s’est étendue à la société civile. En 2019, la « Mocro Maffia » a assassiné l’avocat Derk Wiersum, qui défendait un repenti, et, deux ans plus tard, le journaliste Mark R. De Vriesen.

Un pas supplémentaire a été franchi en 2021 avec les menaces émises à l’encontre de membres du Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, le ministre de la justice belge, Vincent Van Quickenborne et la princesse héritière néerlandaise Amalia, âgée de 18 ans à l’époque. En janvier 2023, à Anvers, une fillette de 11 ans, nièce d’une figure reconnue du trafic de drogue, est devenue la victime collatérale d’une attaque menée dans le cadre d’une expédition punitive.

En février 2024, après six ans de procès, l’une des figures de la « Mocro Maffia », Ridouan Taghi, a été condamné à la prison à perpétuité pour une série de meurtres commis par son gang entre 2015 et 2017. Ce Marocain de 46 ans, ayant grandi aux Pays-Bas, avait été arrêté à Dubaï en 2019 et incarcéré dans une prison néerlandaise ultra-sécurisée. À l’issue de ce procès, seize autres membres du cartel ont eux aussi été condamnés à des peines allant de la perpétuité à un an et neuf mois de prison.

Aujourd’hui, la nébuleuse serait composée d’une « dizaine de clans », structurés autour de familles, « qui collaborent, sont en concurrence ou s’entretuent » toujours, avance Michel Gandhillon, estimant que la « Mocro Maffia » ressemble davantage « aux filières franco maghrébines de Marseille qu’à une mafia à l’italienne ».

Karim Bouyakhrichan, chef de clan

Karim Bouyakhrichan s’est hissé à la tête de l’un de ces clans, après la mort de son frère, Samir, en 2014. Surnommé « Scarface », en raison d’une cicatrice sous l’œil, ce dernier avait été tué près de Marbella au sud de l’Espagne, un meurtre qui avait entraîné une véritable « réorganisation des clans ». C’est ce bouleversement qui, de fil en aiguille, a mené les autorités jusqu’à son frère.

L’homme est soupçonné par les enquêteurs d’avoir dirigé un vaste trafic international de stupéfiants et d’avoir blanchi près de six millions d’euros, grâce à des relais dans plusieurs villes d’Espagne ainsi qu’au Maroc, en République dominicaine, aux Pays-Bas et aux Émirats arabes unis.

Lors de son interpellation, le 25 janvier 2024, après cinq ans de traque, 172 biens immobiliers d’une valeur estimée à 50 millions d’euros ont été saisis. Selon la police, ce coup de filet a permis l’interpellation de cinq autres membres présumés du groupe criminel, et la saisie de 75 000 euros et de deux armes à feu.

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